L'oeil public

CONTAMINATIONS ou APRÈS MOI LE DÉLUGE

J’ai fait le tour de la Terre en 2018. Ça ne prend que quelques heures tant elle est petite, fragile. Et où que mon regard se soit porté, il s’est perdu dans l’obscurité. Un fleuve mort sur 650 km, des poissons déformés, des forêts radioactives, des enfants qui naissent sans yeux, des mafieux qui trafiquent des déchets nucléaires, des déchets plastiques à la dérive au milieu d’un océan devenus les premiers maillons d’une chaîne alimentaire dégénérée… Qu’avons-nous laissé faire ?

Contaminations propose une réflexion sur les pollutions industrielles irrémédiables, transformant pour des décennies, voir des siècles, des territoires en zones impropres au développement de la Vie. Un tour du monde de zones contaminées par l’Homme du XXIème siècle et ses industries chimiques, minières ou nucléaires, qui laisse des pans entiers de notre planète souillés, en héritage pour les générations à venir.

Méthane, acide prussique, phosgène, phosphore rouge, oxyde d’éthylène, chlorure de vinyle, phénols, dérivés d’arsenic, de cyanure, de chlore, sulfure d’hydrogène, soude caustique, pétrole, bisphénol, DDT et PCB sont autant de molécules et produits de synthèse dont les concentrations dans les sols, les eaux et la chaine alimentaire, prendront des décennies, des siècles, parfois des milliers d’années, à retrouver des concentrations viables pour l’humain.

Face à ces constats, les discours de communication des industriels sont d’une cynique violence. Les porte-paroles des compagnies pétrolières revendiquent une énergie verte à propos des sables bitumineux, les pollueurs brésiliens, connues pour leur corruption, ne sont pas condamnés, et à Fukushima, l’exploitant de la centrale fait du lobbying pour rejeter ses millions de litres d’eaux contaminées dans l’océan… et les taux de cancer augmentent en flèche. Mais les industriels n’ont pas un dollar à perdre. Après moi le Déluge !

Depuis 20 ans j’ai travaillé sur des sujets de précarité. Longtemps j’ai imaginé que ces histoires n’étaient pas les miennes. Croyant peut-être pouvoir me protéger du poids des témoignages des plus fragiles en imaginant avoir la chance de ne pas être dans les situations que je photographiais. Aujourd’hui, j’ai fait le tour de la Terre, et je l’ai vu si petite, si fragile. Et nos déchets sont partout, contaminant les terres, les eaux et les airs. Nos océans immenses sont souillés jusqu’en Arctique, des milliers de tonnes de déchets polluent déjà l’Espace. Continuer c’est être aveugle, ces histoires sont la Nôtre.

 

MÈRE NATURE 

Alberta – Canada

Une prophétie disait qu’un jour les leaders seraient contrôlés

par le côté obscur.

On vivait au bord de l’eau, les arbres étaient verts, l’eau était bleue. Travailler au coeur de cette terre, de ces arbres, nous donnait notre identité spirituelle. Quand les usines sont arrivées, la neige est devenue jaune-gris, les animaux ont commencé à mourir, les oiseaux ne volaient plus comme avant, les poissons étaient déformés, deux têtes, deux bouches, des bosses sur le corps…

Et j’ai eu un premier cancer. Les Blancs ont fait de nous des esclaves et ont tué notre terre.

Edward Marten, Fort Chipewyan

En Alberta se joue la plus grande ruée vers l’or noir de l’ère moderne. Plus de 170 milliards de barils de pétrole à extraire des sables bitumineux, soit la deuxième réserve du monde, sont enfouis sous la forêt boréale, sur une superficie équivalente au quart de la France.

Bitume, acides naphténiques, cyanure, phénols, arsenic, cadmium , chrome, cuivre, plomb et zinc… Mille milliards de litres de résidus toxiques, des boues tamisées du processus minier , sont déversés dans d’immenses lacs de retenue pollués d’hydrocarbures contenant plusieurs agents cancérogènes, mutagènes et tératogènes dans lesquels viennent mourir les canards sauvages.

Une des dernières forêts primaires de la planète est rasée, des rivières sont détournées et polluées, la quasi-totalité des caribous ont disparu… et le taux de cancers dans les villages du lac Athabasca est de 30 % plus élevé que dans le reste de la province.

 

C’est une aventure aux proportions démesurées, telle la construction des pyramides, de la Grande Muraille de Chine, ou encore plus grand.

Stephen Harper, Premier ministre du Canada de 2006 à 2015

La neige et le ciel virent au jaune et les odeurs de soufre, d’ ammoniac ou d’hydrocarbures envahissent parfois la ville, mais à Fort McMurray, on appelle ça « l’odeur de l’argent ».

Pour exploiter ces mines à ciel ouvert, l’une des dernières forêts primaires de la planète est rasée, des rivières sont détournées et polluées pour fournir les énormes quantités d’eau nécessaires à une extraction extrêmement polluante. Mais les revenus générés par les compagnies pétrolières se comptent en centaines de milliards de dollars.

En 2020, l’industrie des sables bitumineux du Canada émettra à elle seule plus de gaz à effet de serre que des pays comme l’Autriche ou le Danemark. Tellement que le Canada a dû se retirer du protocole de Kyoto et ne pourra respecter l’accord de Paris sur le climat. Mais Terry Abel, vice-président exécutif de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, l’affirme : « C’est une énergie verte ! »

 

Ici, nous étions au paradis. Nous avons vécu depuis des milliers d’années au confluent de la rivière Athabasca et de la rivière d’or, en harmonie avec Mother Nature. La Terre nous donnait tout ce dont nous avions besoin.

Mais il y a 50 ans, le gouvernement nous a dit que notre mode de vie était en train de mourir, qu’il n’était plus adapté. Ils ont voulu nous déloger pour exploiter notre terre. Ceux qui veulent détruire la Terre pour l’argent ont voulu contrôler nos vies sans nous informer, sans nous consulter.

Aujourd’hui les contaminations toxiques sont partout. Les fumées se répandent et impactent les plantes et la nourriture des animaux. Les déchets toxiques et l’arsenic sont maintenant dans l’eau. Beaucoup d’autochtones meurent de cancers. Des jeunes meurent de cancers, pas uniquement des vieux…

François Paulette, chef de la communauté de Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest

 

Avant on buvait l’eau de la rivière de la Paix, maintenant il ne nous reste plus que l’eau en bouteille.

La commercialisation du poisson a été interdite en aval des usines, jusqu’au lac Athabasca. À Fort Chipewyan, il est déconseillé aux enfants et aux femmes enceintes de consommer les produits de la pêche… et le taux de cancers est de 30 % plus élevé que dans le reste de la province.

 

Un jour, on s’est mis à pêcher des poissons déformés. Les hommes blancs ont tué notre ressource, ils ont tout pris, notre eau, notre climat… Quand ils seront partis, il ne restera plus rien. Les forêts, les oiseaux seront partis.

Mes amis sont morts de cancers, mes collègues sont morts de cancers, ma mère est morte d’un cancer, mon frère, mes cousins… Quatorze personnes dans ma famille sont mortes à cause de leurs saletés.

Raymond Ladouceur, pêcheur à Fort Chipewyan

 

L’Alberta est devenu un État pétrolier. Avec ses conflits d’intérêts et ses voix muselées par l’argent. De nombreux anciens ministres et un ancien Premier ministre travaillent pour Syncrude, Suncor, BP ou encore Shell… La plupart des chefs de communautés autochtones ont négocié des contrats pour mettre leurs terres à disposition des industries du pétrole. Les montants de ces contrats sont tenus secrets.

Les industries arrosent les chefs avec de la “shut-up money”.

À Fort McKay, ils ont concédé leurs terres pour 99 ans.

Moins de 1 % des terres exploitées ont été restaurées.

Certaines compagnies disent : “On va restaurer les terres en 2110.

Vous verrez, la nature sera encore plus pure qu’avant.”

Robert Grandjambe, pêcheur à Fort Chipewyan

 

Les loups attaquent les caribous qui ne peuvent plus se cacher dans les zones déforestées.

La quasi-totalité des caribous ont disparu. Les canards sauvages ont disparu.

90 % de notre alimentation provient du lac et des bois.

Maintenant on est obligés de manger la nourriture transformée des Blancs.

Robert Grandjambe Jr, trappeur à Fort Chipewyan

 

Je suis comme la nature, je parais en bonne santé, mais je suis plein de cancers à l’intérieur. Il y a tellement de cancers à Fort Chip. que c’est devenu normal.

Mais c’est David contre Goliath, notre communauté compte 2 000 personnes. On n’est pas riches, on vit, on tombe malade, on meurt… On n’a pas d’argent pour attaquer des compagnies aux milliards de dollars.

Warren Simpson a 48 ans, il était ouvrier chez Suncor et habitait Fort Chipewyan.

Il affronte un deuxième cancer, très rare, des voies biliaires intrahépatiques.

Le Dr O’Connor exerçait à Fort McMurray depuis dix ans lorsqu’il a découvert des taux anormaux de cancers et de maladies auto-immunes dans les communautés autochtones. Lorsqu’il a tenté de donner l’alerte à Santé Canada, la réponse des scientifiques a été simple : « Il n’y a pas de problème par ici », mettant fin à toute recherche sur el sujet. Sa mobilisation face aux autorités de santé lui vaudra une interdiction d’exercer pendant trois ans.

 

Avec nos niveaux d’études, on serait payés cinq fois moins dans une autre province.

On est logés, nourris, on fait des rotations de 7 jours dans les mines et 7 jours à Fort McMurray.

On n’est là que pour les dollars !

Ils ont entre 20 et 30 ans. Venus des quatre coins du Canada, ils travaillent pour les groupes pétroliers.

 

TOXIC TOWN

Anniston – Alabama – USA

Pour ne pas perdre un dollar de vente !

Ce n’est pas seulement le poison du XXe siècle, c’est aussi celui du XXIe.

Avant de se consacrer aux biotechnologies agricoles, la société Monsanto s’est développée dans l’industrie chimique. On lui doit notamment la production de l’agent orange déversé sur les populations pendant la guerre du Vietnam, mais également, tout au long du XXe siècle, la commercialisation des PCB dans le monde entier.

Les PCB sont toxiques, écotoxiques et reprotoxiques. Y compris à faibles doses, ils provoquent des cancers, des effets sur le système immunitaire, le système reproducteur, le système nerveux, le système endocrinien… Cette famille de 209 dérivés chimiques chlorés ont été utilisés notamment pour la fabrication de systèmes isolants dans les condensateurs et les transformateurs électriques, du frigo à la centrale thermique. Extrêmement volatiles, ils voyagent dans les airs et on en trouve jusque dans l’Arctique. Les PCB sont persistants, certains éléments mettront jusqu’à 2 700 ans à se décomposer.

La petite ville d’Anniston en Alabama, 20 000 habitants, est le Ground Zero du PCB. Ici, entre 1929 et 1971, la société Monsanto a fabriqué 308 000 tonnes de PCB, connus en France sous le nom de pyralène. Pendant cette période, l’usine a rejeté 27 tonnes de PCB dans l’atmosphère, 810 tonnes ont été déversées dans le ruisseau voisin, et 32 000 tonnes de déchets ont été reléguées dans une décharge à ciel ouvert en pleine ville. Les habitants sont partis, abandonnant tout, laissant des centaines de maisons en ruine. On appelait Anniston « Model City ». On l’appelle désormais « Toxic Town ».

 

La nuit, des vapeurs bleues émanaient de la décharge et des flaques. On allait y jouer, on appelait ça les trous bleus.

Le révérend Thomas Long est né à Anniston. Il n’a plus de voisins sur Montrose Avenue. Tout le monde est parti. Son salon présente des taux de PCB 140 fois supérieurs aux limites tolérées mais il ne veut pas quitter sa maison.

Ils ont tout rasé autour de chez moi, les deux églises et cinquante maisons. Le reste est abandonné. Et si vous voulez voir des enfants nés dans les années 1980, il faut aller au cimetière.

Monsanto nous dit : “Ne vous inquiétez pas, on s’en occupe, on nettoie.” Mais ils disaient déjà qu’il n’y avait pas de problème alors que leurs études montraient depuis des années que les animaux avaient des problèmes au foie et dans le sang.

Ils ont contaminé pendant 70 ans et ça ravine encore aujourd’hui ; ils peuvent acheter qui ils veulent. Mais les juges disent que nos maladies doivent être liées à notre mode de vie.

 

Avant on avait des jardins, des poules, des chèvres, il y avait des arbres fruitiers. Mon père allait à l’usine à pied, c’était le bon vieux temps…

Dans les années 1970, les agents de Monsanto ont commencé à proposer de nous racheter les porcs, 25 dollars par tête. Ils venaient de découvrir un taux démesuré de PCB dans l’eau, 19 000 mg/kg.

Cela pouvait venir de partout, de la terre, d’une tomate, des patates, des animaux, des vêtements si on ne les nettoyait pas, ou de l’eau si on les lavait… On ne savait plus comment faire pour ne pas être contaminés. On mettait des ventilateurs face aux fenêtres.

Un jour j’ai voulu donner mon sang, et on a découvert que j’avais du Monsanto dans le corps. 

Ils s’en foutent de nous. Ils nous laissent avec des maisons contaminées, des terres contaminées, des corps contaminés. On vit dans une ville fantôme. On connaît plus de gens morts que de gens vivants.

Opal Scruggs

 

Monsanto a installé son usine à côté des quartiers noirs et y a déversé ses fonds de cuves. Les gens ont commencé à paniquer lorsque l’entreprise a voulu racheter les églises trop proches de l’usine.

L’épicière s’est mise à consigner les centaines de noms des morts de cancers dans un registre. On baptisait les enfants dans la rivière. Ils sont tous morts.

Alberta McCrory, maire d’Hobson City, petite ville près d’Anniston où la majorité de la population est noire.

Ici, les parcs et les espaces publics n’ont pas été nettoyés par Monsanto. Il n’y a eu aucune compensation.

 

Kim Abernathy a 36 ans. Elle a eu un cancer des ovaires à 17 ans. Sa soeur a eu le même cancer à 15 ans. Son père, sa tante, son cousin, tous sont morts de cancers. Son fils a de l’asthme, son neveu est autiste… Sa voisine a été amputée des deux jambes à 14 ans, elle aussi à cause d’un cancer.

Tout le monde est malade !

Ils indemnisaient les propriétaires des maisons, mais pas les locataires. Elle et sa mère n’ont reçu aucun dédommagement, personne n’a été testé, pourtant elles habitent à 50 mètres de l’usine. Elles n’ont pas d’assurance santé, pas d’Obamacare, rien.

 

Ce sont des quartiers très pauvres. Économiquement, ils essaient de survivre. Ils n’ont pas d’assurance, ils n’ont pas les moyens d’aller à l’hôpital, pas les moyens d’avoir un diagnostic, et bien sûr pas de prévention.

Il va falloir qu’on me dise pourquoi les enfants ont des problèmes de pression artérielle, de cholestérol, d’hyperactivité. Certains naissent sans yeux, avec une seule oreille ou douze doigts. Certaines femmes ont de la barbe. Des bébés naissent avec des organes atrophiés. Il y a de plus en plus de maladies auto-immunes, de plus en plus d’autistes.

Angela Martin, pédiatre à Anniston

 

Monsanto déversait directement ses déchets dans le canal de Snow Creek. On a retrouvé jusqu’à 5 000 mg/kg de PCB dans l’eau et des poissons déformés. Les milliers de tonnes de PCB déchargées sur la colline ravinent toujours vers la rivière Choccolocco, contaminée sur des kilomètres.
Des documents de Monsanto estampillés « CONFIDENTIEL : lire et détruire » montrent que pendant des décennies, la multinationale a dissimulé ce qu’elle faisait et surtout ce qu’elle savait. En 1966, des responsables de l’entreprise avaient découvert que « des poissons immergés dans le ruisseau se retournaient sur le dos en moins de dix secondes, pissant le sang et perdant leur peau comme s’ils avaient été bouillis vivants ». Ils ne l’ont dit à personne.
En 1975, une autre étude menée par l’entreprise révélera que les PCB provoquent des tumeurs chez les rats. Là encore Monsanto taira les résultats. « Nous ne pouvons nous permettre de perdre un seul dollar ».
Aujourd’hui, les négociations sur le nettoyage de Snow Creek et de la Choccolocco sont toujours en cours. Certains scientifiques estiment qu’il n’y aurait plus un mammifère sur la planète sans trace de PCB dans le sang. Et Monsanto envoie simplement des courriers rappelant aux habitants de ne rien planter dans leur jardin.

 

 

LE FLEUVE MORT 

Rio Doce, Brésil 

Je n’ai eu que le temps d’emporter ma vie.

Le 5 novembre 2015, le barrage de rétention des boues polluées de la mine de fer Samarco, une filiale des géants miniers anglo-australien BHP Billiton et brésilien Vale, s’est rompu, déversant 62 milliards de litres (l’équivalent de 187 pétroliers) de matières contaminées dans le cinquième fleuve du Brésil. C’est la pire catastrophe environnementale que le Brésil ait jamais connue.

 

Un tsunami de boue toxique a enseveli trois villages, asphyxié les poissons, dévasté la faune, la flore, 650 km de fleuve ont été pollués de déchets miniers (fer , aluminium, mercure, plomb, manganèse, sélénium, cadmium ou en core arsenic). Trois réserves naturelles et 500 000 personnes ont été touchées par la pollution. Aujourd’hui le « fleuve doux » a changé de nom. On l’appelle désormais le fleuve mort.

On ne connaît pas encore les effets que pourra avoir la catastrophe sur l’écosystème de l’ensemble du fleuve et de son estuaire, mais les scientifiques estiment qu’il faudra des décennies pour retrouver un équilibre.

 

J’ai quitté ma maison, sans rien, sans chemise, je n’ai eu que le temps d’emporter ma vie. Thiago, le fils de mon voisin, a, lui, été emporté par la boue.

Jose do Nascimento de Jesus et son épouse Maria Irene de Deus habitaient à Bento Rodrigues, à quelques mètres en aval du barrage. Le village de 620 habitants a été rayé de la carte, englouti sous 60 millions de tonnes de déchets. La société minière n’avait prévu aucun plan d’évacuation, aucune sirène.

Aujourd’hui leur maison est noyée sous un lac boueux et ils attendent toujours la reconstruction de leur village.

 

Pratiques antisyndicales, violations du droit du travail, recou rs à des milices paramilitaires, corruption des autorités des pays où elle exploite des mines, font la réputation du géant minier.

En 2009, l’entreprise Vale rémunérait ses actionnaires à hauteur de 2,75 milliards de dollars.

L’enquête de la police fédérale brésilienne a conclu que l’entre prise savait que le barrage présentait des risques de s’effondrer. Samarco, BHP Billiton et Vale sont poursuivis pour « crime environnemental ». Vingt et une personnes sont accusées d’« homicide aggravé » et de « présentation de rapport environnemental falsifié ».

Dès 2008, Samarco avait connaissance de problèmes multiples sur le barrage. Plutôt que de stopper l’activité et de mener les réparations, ils ont rafistolé le barrage par petits bouts. Lorsqu’il a cédé, j’ai vu le fleuve charrier des vaches, des chevaux, des camions, des voitures… des morceaux de cadavres… Dix-neuf morts dont deux enfants.

Rodrigo Bustamante, délégué de police, responsable de l’enquête

 

Depuis quatre jours, il n’y a plus d’eau à la source du village, alors on boit l’eau du fleuve…

Je me mets à la fenêtre, je regarde le fleuve pendant des heures et je pleure. Ils nous ont enlevé une part de nous…

Joana Brau, lavandière à Itapina, sur les bords du fleuve.

 

Avant la vie était tranquille ici, il n’y avait pas de pollution. J’ai vu la boue arriver, la couleur orange… les poissons morts… Samarco a dit aux pêcheurs : “Vous allez ramasser les poissons, et si quelqu’un vous pose des questions, vous dites que vous ne savez rien et vous cachez les poissons.”

Simon Barbosa Dos Santos (74 ans), pêcheur à Regencia depuis plus de 25 ans

Lors de la coulée de boue, tous les corps vivants ont été asphyxiés. Tous les organismes sont morts. Des espèces ont totalement disparu du fleuve. Samarco dit que tout va bien, mais ils conseillent quand même de ne plus pêcher. Les bouleversements écologiques ont fait apparaître la fièvre jaune dans la région.

 

Francisco Eusebio, pêcheur de 58 ans, a cinq enfants et il est perdu. Il regarde le lagon toute la journée, et répare ses filets. Mais il ne sait pas pourquoi…

 

Regencia, à 650 km en aval du barrage, à l’embouchure du Rio Do ce, était connue pour ses vagues, son écotourisme, mais aussi pour être une des plus grandes réserves de tortues marine s au monde. C’est le seul endroit où naissent les mâles des tortues géantes en voie de disparition.

En mer, à 40 km des côtes, les algues meurent. On retrouve des métaux lourds jusque dans les coraux au large de Bahia, à 200 km au nord de l’estuaire. On ne connaît pas encore les effets qu’il y aura sur les tortues qui avaient survécu jusque-là depuis l’ère glaciaire.

La justice brésilienne a décidé, le 7 août 2017, de suspendre l a procédure pénale pour crime environnemental et homicide visant les inculpés de la tragédie du Rio Doce. Samarco, qui presse le gouvernement pour redémarrer sa mine, a décidé d’arrêter d’indemniser les victimes après cinq ans, considérant que tout sera revenu dans l’ordre.

 

 

 

LE TROU NOIR 

Dzerjinsk – Russie 

J’aimerais oublier tout ça et vivre comme les Russes !

On déversait tout sur le sol, vers la rivière Oka. Avant on fermait les yeux sur certaines règles mais il n’y avait pas de corruption comme maintenant. Aujourd’hui on peut acheter n’importe quoi, n’importe quelle décision sanitaire ou écologique.

M. Levachov, ancien ouvrier des usines Plexiglas.

Il travaillait à la production d’éther et de polymères d’acrylique.

Un lac sans eau, uniquement composé de déchets toxiques, où l’air est irrespirable. Les berges sont molles et des filaments marron restent collés aux semelles. On l’appelle le trou noir. Sa consistance chimique est très variée, mais surtout inconnue. Même les ministères n’ont pas de données.

On sait seulement que 6 000 m3 sont des déchets liquides, 9 000 m3 sont semi-liquides et 55 000 m3 sont polymérisés, durcis. Le trou noir, profond de 18 mètres, est directement relié à la nappe phréatique qui n’est qu’à quelques mètres profondeur.

Près de 300 000 tonnes de déchets chimiques neurotoxiques ont été enfouies dans la campagne alentour. Acide prussique, phosgène, oxyde d’éthylène, chlorure de vinyle, phénol, dérivés d’arsenic, de cyanure et de chlore ; c’est ce que respiraient les 300 000 habitants de la « ville la plus chimiquement polluée du monde » selon le Blacksmith Institute.

 

Dzerjinsk, du nom de Felix Dzerjinski, fondateur de ce qui deviendra le KGB, était une ville interdite. La capitale de la chimie accueillait le centre de fabrication de l’industrie de la défense de l’Union soviétique. On y produisait de l’ypérite et du gaz sarin.

Près de 300 000 tonnes de déchets chimiques neurotoxiques ont été enfouies dans la campagne alentour. Acide prussique, phosgène, oxyde d’éthylène, chlorure de vinyle, phénol, dérivés d’arsenic, de cyanure et de chlore ; c’est ce que respiraient les 300 000 habitants de la « ville la plus chimiquement polluée du monde » selon le Blacksmith Institute.

En 2003, le taux de mortalité dépassait de 260 % le taux de nat alité, l’âge moyen des décès chez les hommes était de 42 ans, de 47 ans pour les femmes.

 

C’est un peuple qui peut survivre sans protester, jusqu’à la mort, dans le silence… Ils ferment la fenêtre et boivent leur thé dans la cuisine.

Vadim, journaliste au Dzerjinsk Reporter

Taya et Anfissa, travaillaient dans les usines d’armement, comme tous les habitants du quartier Sukharenko. Les ouvriers avaient obligation de taire leur activité au sein de l’usine. Un silence qu’elles gardent aujourd’hui encore. La seule chose qu’elles disent, c’est que tous leurs amis sont morts.

Du temps de l’industrie soviétique, les gens n’arrivaient pas jusqu’à leur retraite.

 

À l’époque soviétique, chaque samedi on purgeait les gaz industriels. Les chefs n’étaient pas là, il n’y avait pas de contrôle. Mon mari disait que le samedi on ne devait pas ouvrir les fenêtres. Il était impossible de respirer.

Aujourd’hui, des centaines d’entreprises sans contrôle se sont installées dans les complexes soviétiques en ruine. Les documents officiels annoncent des productions qui n’ont rien à voir avec la réalité de ce que les usines fabriquent. Les rejets continuent entre 22h et 3h du matin. Des camions transportant des déchets chimiques seraient encore déversés directement dans la rivière Oka. Ces trois dernières années, les émanations de gaz toxiques dans l’atmosphère auraient encore augmenté.

Le trou noir, la mer blanche, la montagne de déchets, il y aurait une centaine de décharges industrielles sauvages autour de la ville. La nappe phréatique et les puits sont pollués jusqu’à 20 mètres de profondeur.

 

Il y avait bien un Institut des maladies professionnelles, ils constataient les maladies sur les femmes mais les études restaient secrètes. La seule conclusion qu’ils aient faite était : “Les femmes peuvent travailler dans les usines, elles saignent juste davantage à l’accouchement…”

Il y avait beaucoup de malformations, des pathologies du coeur, de la colonne vertébrale… Il y avait une mortalité infantile presque deux fois supérieure à celle de Nijni Novgorod, la ville voisine. Les autorités nous engueulaient pour ça ! Aujourd’hui, la pollution perturbe le système immunitaire et hormonal. Les femmes nées à Dzerjinsk doivent être stimulée pour les accouchements parce qu’elles n’ont pas assez de contractions.

Gratcha Mouradian était médecin chef de la maternité de Dzerjinsk pendant 40 ans.

Aujourd’hui, il n’y a pas de statistiques. On sait seulement que les taux de cancers sont supérieurs dans la région. Les plus élevés de la Russie. Un tiers de la mortalité serait liée aux cancers, mais les médecins qui tentent d’alerter sur des problématiques de santé sont accusés d’être des agents étrangers.

 

Il y a des pressions sur les médias. On nous barre les accès même à la rivière Oka. Ma voiture a brûlé il y a deux mois. En 2016, j’ai passé trois jours en prison parce que je n’avais pas mis ma ceinture de sécurité. Un an avant, ils m’avaient volé mon chien. On l’a retrouvé à 800 kilomètres de là. Parler avec des journalistes étrangers peut nous mettre en danger, moi je n’ai plus rien à perdre.

Vadim, journaliste au Dzerjinsk Reporter

 

Nadejda, 45 ans, et sa fille Alona, 14 ans, habitent dans le quartier 13, au bord du boulevard Lénine. Alona souffre d’une déformation de la colonne vertébrale et d’un handicap mental.

Il y a beaucoup d’enfants handicapés ici. Mais les médecins ne veulent rien dire du lien avec l’industrie chimique. On n’est pas soutenus par l’État, nous n’avons pas de logement adapté. Nous vivions avec ma mère dans un appartement communautaire, mais il n’y a pas assez de place alors je suis obligée de louer un autre logement, près des usines.

 

Quand la demi-vie des éléments est de 300 ans, comment voulez-vous que ça aille mieux !

Diana, chimiste. Son mari travaillait dans les usines d’armement. Il est mort d’un cancer.

Les vents de Dzerjinsk soufflent sur la ville de Nijni Novgorod, 1,3 million d’habitants, à quelques kilomètres à l’est. C’est là que la rivière Oka se jette dans la Volga, un des cours d’eau les plus pollués de Russie. Le chlore, le cuivre, les dioxines de la nappe phréatique rejoignent les PCB et le mercure de la rivière dans laquelle la ville s’approvisionne en eau. Nijni Novgorod a le taux de mortalité le plus élevé de Russie.

 

LA TERRE DES TUMEURS

Naples – Italie

Il leur reste peut-être vingt ans à vivre.

On l’appelle la Campanie heureuse et fertile. À Casal di Principe, la mafia brûle et enfouit des déchets de toute provenance depuis des années. Les témoignages de repentis estiment que plus de 100 000 tonnes de déchets toxiques auraient été déversées dans la région entre 1991 et 2013, citant même l’utilisation de 400 000 semi-remorques qui auraient transporté les déchets d’au moins 443 entreprises italiennes confiés à la Camorra.

Scories de la pyrométallurgie de l’aluminium, poussières de fumées, boues de peinture, déchets liquides contaminés par des métaux lourds, amiante, boues de tannerie, jusqu’à des déchets atomiques de centrales nucléaires allemandes, autrichiennes ou suisses ont été jetés, brûlés et enterrés dans la première décharge industrielle illégale d’Europe entre Naples et Caserta, jusqu’aux pentes du mont Vésuve.

Tout s’écoule dans la nappe phréatique ou ravine vers les cultures. Six grandes stations d’épuration avaient bien été construites, mais une seule fonctionnait. Les autres rejetaient directement les eaux polluées dans les canaux d’irrigation construits au XVIIIe siècle par les Bourbons, puis vers la mer. Même le gouvernement italien qualifie maintenant la région de « terra di tumori » ou « terre des tumeurs ».

 

Les canaux sont devenus peu à peu des égouts à ciel ouvert dans lesquels on a déversé des carcasses d’animaux, les eaux usées, les ordures ménagères, puis des voitures, des déchets des usines de textile, des ateliers de contrefaçon, puis des déchets hospitaliers, des déchets industriels, des déchets radioactifs. Même des pierres tombales.

Quand il a vu les taux de dioxine dans mon sang, mon médecin m’a demandé si j’avais travaillé dans une usine d’industrie chimique.

Enzo Tosti, représentant en pâtisserie

Dans la province de Naples, les habitants ont huit ans d’espérance de vie de moins que dans le reste de l’Italie.

 

Les ordures sont éparpillées le long des autoroutes, jetées sous les ponts ou déversées dans les canaux d’irrigation. Les rats cherchent de la nourriture parmi les feuilles d’amiante, les écrans d’ordinateur cassés et les pots de peinture vides.

En 2011, les autorités de Campanie ont identifié plus de 5 300 sites de décharge potentiels.

Le sous-sol regorge de produits toxiques qui contaminent l’herbe et le foin. En 2008, la Mozzarella di Bufala, spécialité de la région de Caserte, a été interdite à la vente. Dans les 173 fromageries des provinces de Naples, Caserte et Avellino, 15 % étaient non conformes au seuil de dioxine « conseillé » par l’Union européenne.

 

Tous les villages sont contaminés.

Les habitants risquent de mourir du cancer, il leur reste peut-être vingt ans à vivre.

Carmine Schiavone, repenti de la Camorra

L’US Navy a réalisé une étude qui a coûté 30 millions de dollars afin de vérifier que la zone n’était pas dangereuse pour ses militaires basés dans la région. Les experts américains ont identifié des zones présentant des risques inacceptables pour la santé jusque dans le centre de Naples. Le danger est partout. Ils recommandent de ne pas boire l’eau ni de faire de glaçons, ni même de se brosser les dents. De l’uranium, du perchloroéthylène, un solvant industriel cancérigène, du cuivre… Les militaires américains ont pour consigne de ne pas vivre en rez-de-chaussée à cause des gaz mortels émanant des sols.

Le principal danger provient de la présence d’uranium, trouvé en quantité anormalement élevée dans 31 % des maisons, et en particulier dans la zone située autour de Casal di Principe, fief du clan des Casalesi, puissante famille de la Camorra.

 

On n’imaginait pas qu’il y avait un risque. Mais nous vivions dans la zone où la mortalité des enfants est la plus forte. Ils ont trouvé des tumeurs d’un vieux de 50 ans qui aurait travaillé toute sa vie dans l’amiante sur mon fils de 9 ans. Il n’y avait pas de traitement. Antonio est mort l’année suivante, en 2013, d’un glioblastome multiforme, une tumeur du cerveau. Je suis devenue stérile. J’ai des taux de dioxine alarmants dans le sang, des métaux lourds dont du cadmium… C’est une terre agricole avec des maladies de terres industrielles.

Marcia Caccioppoli, 42 ans

Le nombre de tumeurs chez les nourrissons et les enfants est six fois plus important à Acerra, une ville de seulement 56 000 habitants, que dans le reste de l’Italie. Selon une étude menée par la Fondation Pascale de Naples, le taux de mortalité par cancer dans le « triangle de la mort » a augmenté de 15 à 20 % au cours des sept dernières années. Mais dans certaines villes comme Acerra, l’augmentation est de plus de 30 %.

 

Dans le « triangle des tumeurs », 92 % des puits qui alimentent les foyers présentent « un risque inacceptable pour la santé ». Dans plus de la moitié, les experts ont découvert une substance utilisée comme solvant industriel, le perchloroéthylène, considéré comme cancérigène. Plus de la moitié des eaux analysées dans le centre de Naples sont considérées comme dangereuses et contiennent des traces d’uranium.

 

 

LA FORÊT DE LA NUIT 

Fukushima – Japon

Je me suis demandé quand nous allions mourir.

Du ciel tombaient des flocons de l’explosion, je me suis demandé quand nous allions mourir.

Katsutaka Idogawa, ancien maire de Futaba

Le 11 mars 2011, à la suite d’un tremblement de terre d’une puissance de 9 sur l’échelle de Richter et du tsunami qui a suivi, trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima ont explosé. La centrale, une des 25 plus grandes au monde, fournissait 10 % de l’électricité du Japon. 32 millions de Japonais ont été exposés aux radiations. Le nombre de cas de cancers de la thyroïde chez les enfants a été multiplié par 500 dans la région depuis la catastrophe.

Sept ans après, les fuites radioactives se poursuivent. Mais à moins de 5 kilomètres de la centrale, des zones sont progressivement rouvertes. Le gouvernement japonais presse les populations pour qu’elles reviennent s’installer dans la région alors que beaucoup de zones sont encore contaminées.

La préfecture de Fukushima (littéralement « île du bonheur ») est constituée de 80 % de forêts. Aucune décontamination n’a été opérée dans les bois remplis de poussières de césium de 2 micromètres que les vents déplacent à foison. La radioactivité y est 15 à 20 fois supérieure aux normes. L’érosion et le ruissellement ont commencé à transporter les sédiments plus contaminés des montagnes vers les plaines à nouveau cultivées.

 

Le 11 mars 2011, à la suite d’un tremblement de terre d’une puissance de 9 su r l’échelle de Richter et du tsunami qui a suivi, trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima ont explosé. La centrale, une des 25 plus grandes au monde, fournissait 10 % de l’électricité du Japon. 32 millions de Japonais ont été exposés aux radiations. Le nombre de cas de cancers de la thyroïde chez les enfants a été multiplié par 500 dans la région depuis la catastrophe.

La ville de Futaba a été abandonnée le 13 mars 2011. Sept ans après, les fuites radioactives se poursuivent. Dans les maisons, les taux de radioactivité sont parfois 20 fois supérieurs aux normes acceptables.

 

On avait des rizières, des arbres fruitiers, on buvait l’eau de notre source.

J’avais alerté le directeur de la centrale sur le fait que les générateurs de secours étaient trop vulnérables en cas de tsunami. Il m’avait répondu que ce serait trop cher de mieux les protéger.

La famille de Masumi Kowata vivait là depuis 300 ans. Elle était représentante des riverains de la centrale. La première fois qu’elle a pu revenir dans sa maison après la catastrophe, elle avait été cambriolée, seuls ses documents sur Tepco (l’exploitant de la centrale) avaient disparu. Aujourd’hui sa maison est dans la « difficult-to-return zone ».

 

Ma vie à Iwaki.

Je suis né à Iwaki, dans le département de Fukushima, et c’est là que je vivais avec mes parents et mon frère. Nous avions l’habitude, avec ma famille, d’aller contempler les cerisiers chaque année au printemps, dans un parc tellement beau qu’on montrait souvent à la télévision ses belles allées bordées de cerisiers en pleine floraison. Ce parc s’appelle “Forêt de la Nuit”.

L’été on ramassait des coquillages au bord de la mer, en automne on cueillait des champignons dans les bois et puis l’hiver on faisait des bonhommes de neige.

Sur le chemin de l’école, dans un parc près de chez moi, j’avais l’habitude de ramasser des prêles des champs. Ma mère en faisait un plat délicieux. On habitait dans une grande maison avec un grand jardin, et on faisait pousser des myrtilles, des champignons shiitake et des tomates cerises. Avec mes copains d’école, on cherchait des insectes dans l’herbe et on fabriquait des billes avec de la terre…

Y. K., 14 ans

 

Ma vie après l’accident nucléaire.

Le 11 mars 2011, cette vie heureuse a pris fin. La “Forêt de la Nuit” et les cerisiers se trouvent aujourd’hui dans une zone dite “de retour difficile”. Les enfants ne peuvent plus fabriquer de billes de terre, tout simplement parce qu’elle est devenue hautement radioactive.

Mais le pire, pour moi, c’est le harcèlement dont j’ai été victime à l’école où j’ai dû aller après l’évacuation. Je trouvais des insultes écrites sur les dessins que je faisais en classe, on me traitait de “bacille”.

Comme ça continuait, je me suis dit qu’il vaudrait mieux que je disparaisse. Vers l’âge de 9 ou 10 ans, au moment de la Fête des étoiles, en juillet, comme le veut la tradition, j’ai fait un voeu : j’ai demandé à mourir.

Ce sont les adultes qui ont construit les centrales nucléaires, ce sont eux qui en tirent des profits, ce sont eux qui sont responsables de l’accident. Et pourtant, c’est nous, les enfants, qui subissons le harcèlement, c’est nous qui vivons dans l’angoisse de tomber malade un jour. Nous sommes condamnés à vivre cernés de matières radioactives produites par ces adultes.

Y.K., 14 ans

 

Seuls les champs et un périmètre de 20 mètres autour des zones d’habitation font l’objet de décontamination. Mais cela engendre des millions de mètres cubes de déblais radioactifs, rassemblés dans des ballots qui jonchent les champs, les jardins, le bord des routes…

Les plus contaminés seront rassemblés sous la forme d’une montagne de 16 km2 et 50 mètres de haut. En attendant la création d’un lieu de stockage définitif en 2045.

Mais les autorités ont dû modifier les seuils de tolérance afin que les déblais contenant moins de 8 000 becquerels par kilo puissent être utilisés pour les fondations des routes et chemins dans tout le Japon. Auparavant, la norme pour classer un déchet comme déchet nucléaire était de 100 Bq/kg.

 

On ne reviendra pas, notre héritage sera perdu, mais nos âmes sont encore dans cette ville…

Yasuharu Hashimoto, comme ses parents et ses grands-parents, avait fait construire sa maison à Futaba quatre ans avant l’accident. Aujourd’hui Tepco lui a rachetée pour la raser. Elle est sur le site de la future montagne de déchets radioactifs. Ses enfants de 12 et 14 ans ne se souviennent déjà plus de leur vie à Futaba.

 

Ceux qui ont peur ou qui ne sont pas contents seront atteints par la radioactivité. Les gens qui sourient ne seront pas irradiés. Souriez, souriez !

Dr Yamashita, vice-président de l’université de Fukushima, financée par l’industrie nucléaire

Aujourd’hui encore, 100 m3 d’eau sont injectés chaque jour dans chacune des enceintes de confinement. Il faudra 40 ans pour refroidir le combustible. L’eau contaminée est réutilisée en partie mais le reste est stocké sur place. Un millier de citernes géantes, dont certaines fuient, sont aujourd’hui remplies par un million de tonnes d’eau contaminée au tritium. Tepco rêverait de pouvoir les déverser dans l’océan, quitte à mentir sur les impacts sur l’environnement.

Récemment, des chercheurs ont analysé l’eau d’un puits creusé à 50 m de l’océan et y ont mesuré 54 000 becquerels par litre de césium 137. C’est 600 fois la norme pour l’eau pouvant être relâchée dans la mer. Il faudra entre 30 et 300 ans en fonction des radioéléments contaminants pour que les niveaux de radiation redeviennent normaux.

 

LES LARMES DE SIRÈNES

Océan Pacifique Nord

 

Chaque année, 8 millions de tonnes de plastique sont déversées en mer. Des déchets ménagers, des filets de pêche, des « larmes de sirènes » (des microbilles servant de matière première dans l’industrie), et surtout des plastiques à usage unique. Des emballages utilisés quelques secondes qui contamineront les océans pour des siècles. Lorsqu’une bouteille de plastique se fragmente, au fil de l’eau, de l’attaque des UV et de quelques bactéries, elle produit à elle seule 20 000 morceaux de microplastiques d’un millimètre ou de quelques dizaines de microns.

Des éléments confondus avec le phytoplancton et ingérés par les poissons. Les polymères fragmentés libèrent alors leurs toxiques – bisphénol A, phtalates, DDT, PCB… – et contaminent les tissus des poissons qui les absorbent. Certaines zones présentent des concentrations de plastique jusqu’à dix fois plus importantes que le plancton.

Ainsi entrées dans la chaîne alimentaire, les traces de plastique se retrouvent partout, jusqu’en Arctique. Une moule ou une huître contiennent une centaine de microbilles de plastique utilisées pour la fabrication des crèmes de gommage ou des pâtes dentifrice.

Depuis son invention, 8,3 milliards de tonnes de plastique ont été produites. Il ne se dégrade pas, il est toujours là. Au milieu de l’océan Pacifique Nord, entre Hawaï et la Californie, se trouve la plus grande des six concentrations de plastique des océans.

Sur une zone de 3,43 millions de kilomètres carrés, soit près d’un tiers de la superficie de l’Europe, ce qu’on appelle « le continent de plastique » ressemblerait plutôt à une soupe mortelle. À 2 500 kilomètres des premières côtes dérivent bien quelques pansements, quelques brosses à dents ou tuyaux d’arrosage, des morceaux de caisses en plastique ou des mégots, mais cela n’a rien d’un continent. Pire, rien de palpable. 1 800 milliards de microplastiques à peine visibles à l’oeil nu, chargés d’adjuvants, de PCB, de toxiques persistants.

Aujourd’hui, il est difficile de trouver un endroit sans aucune trace de plastique sur notre planète. Il y en a partout, dans tous les cours d’eau, dès le début de la chaîne alimentaire et jusque dans le corps humain. On estime que les hommes auraient perdu jusqu’à 75 % de leur fertilité à cause des perturbateurs endocriniens contenus, entre autres, dans le plastique.

Ces déchets constituent aujourd’hui un écosystème à part entière que les scientifiques appellent désormais la plastisphère. Une contamination qu’il ne sera jamais possible de nettoyer.

 

Intérieurs de filtres prélevés par les scientifiques de l’expédition Tara Pacifique dans le Great Pacific Garbage Patch, le “continent de plastique” :

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