Réalisé pour LIBERATION avec Jacky Durand
Loin des reportages sensationnels, Jacky Durand et Samuel Bollendorff ont passé dix jours et dix nuits avec les brigades de Police Secours du XIIème arrondissement de Paris, là où les discours sur la sécurité cèdent le pas à l’urgence sociale. Chronique.
14h45, l’appel dans les rangs de la J1.
Un gradé décline l’ordre du jour : des vols de cuivre sur les chantiers ; des bandes de jeunes « consommant des stupéfiants » sur le boulevard de Reuilly. Un risque d’irruption de la tribu K, au 8 de la rue de Prague.
Le gradé rappelle également la réglementation sur les chiens dangereux.
18h45,
Dans la cage d’escalier, les agents interviennent à la suite d’un appel des voisins. Un couple semble se battre.
18h13,
Appel pour une état de démence près de la place Dausmenil.
Au 2e étage d’un immeuble ancien, un homme refuse de se laisser transporter à l’hôpital par deux ambulanciers. Odeur d’urine derrière la porte rouge, la cuisine, les deux petites chambres et le séjour. Une petite femme aux cheveux gris et à la silhouette frêle tente de le convaincre. C’est sa mère. L’homme est couché sur son lit, en peignoir. La télévision diffuse un programme de jeu.
– On va prendre un pyjama pour l’habiller.
– J’le mets pas, j’ le mets pas, répète l’homme sur son lit.
– On n’est pas partis.
Les policiers tentent de soulever l’homme de son lit pour le mettre sur ses jambes. Sébastien lui tient un bras, puis l’autre, l’homme se laisse faire.
Il dit « Appelez ma mère. »
Fabien transpire.
L’homme est assis sur un fauteuil roulant pliant. Il crie :
« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? », alors que l’ambulancier s’approche avec des entraves en tissu.
La mère dit : « Ce sont les nerfs. » A l’adresse de son fils : « Tu vas te soigner. »
Direction l’hôpital Saint-Antoine.
15h50,
Le fourgon se gare derrière un massif de fleurs à la porte de Vincennes pour une série de contrôles routiers. Une Polo Volkswagen grise emprunte un couloir de bus. La jeune femme au volant ignore le coup de sifflet de Loïc et continue sa route en direction du périphérique. La Polo zizague entre les autres véhicules et empêche le policier, qui court au milieu du carrefour, de noter son immatriculation.
« Si j’avais fait un rapport, elle aurait été convoquée pour s’expliquer. Elle savait ce qu’elle faisait. De toute façon, ce n’est pas avec ça qu’on l’aurait rattrapée », affirme Loïc en désignant le fourgon.
17h35,
Rédaction des rapports et autres procès verbaux d’intervention.
20h15,
Béatrice cherche un vétérinaire pour un chien trouvé dans le bois de Vincennes. « Dans le bois de Vincennes, on trouve énormément d’animaux abandonnés, affirme Loïc. À une époque, certains les jetaient dans le lac les pattes liées ».
« Le chien doit être examiné par un vétérinaire. Si le pronostic vital de l’animal est engagé, il restera chez lui, sinon on le mettera en consigne dans le sous-sol du commissariat ».
21h15,
Béatrice tente de retrouver le propriétaire de l’animal d’après son tatouage.
Elle a identifié la propriétaire de l’animal mais elle n’habite plus à l’adresse mentionnée.
Cette procédure a accaparé Béatrice durant deux heures.
03h12,
Poursuite de taggeurs sur les rails de la gare de Lyon.
03h20,
Contrôle d’identité.
16h15,
PS12 alpha se rend gare de Lyon pour une IPM, une ivresse publique manifeste.
« Il est bourré, il fait chier tout le monde. Il devait prendre le train pour Dijon », explique un policier en désignant un géant vêtu d’une veste de camouflage. C’est un ressortissant finlandais. Il affirme avoir franchi la frontière belge dans la nuit en faisant de l’autostop et il avait l’intention de se rendre en Espagne.
Kimmo, c’est son prénom, 40 ans, est visiblement aussi chargé qu’un troupeau de rennes pour la foire de Noël. Il trimballe un cubi de vin et une bouteille de pastis. Kimmo part ensuite aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine pour savoir si son état est compatible avec son placement en cellule de dégrisement. »
Fabien, aussi à l’aise dans le heavy metal que dans la conduite rapide, rappelle à Kimmo que son pays a gagné l’Eurovision avec un groupe de hard-rock.
-You win Eurovision !
Kimmo se retrouve sur un châlit en bois et en ciment. Il s’endort tout de suite mais son odeur fait des heures supp. dans le commissariat.
Emilie se désinfecte les mains et les gants en cuir noir.
16h15,
appel pour un crise de démence dans un appartement en rez-de-chaussée sur le cours de Vincennes. Monsieur M. apparaît dans l’encadrement d’une fenêtre.
– Ce n’est pas la première fois qu’on vient vous voir monsieur M. , lance Loïc. – Qu’est-ce qu’il vous arrive aujourd’hui ? .
Monsieur M. ouvre.
– Je peux pisser ici si vous voulez, dit l’homme en désignant le plancher.
– Je ne veux pas discuter avec vous, c’est un vrai capharnaüm votre appartement, dit un policier.
– Dehors aussi, c’est un capharnaüm, réplique monsieur M.
– Allez monsieur M., on y va, lance Loïc.
Les trois fonctionnaires tentent de contrôler monsieur M. qui se crispe. Béatrice tient un bras tandis qu’Enrique hausse le ton en lui passant les menottes :
– M’énervez pas monsieur M. Ça fait quatre fois que je viens chez vous.
Monsieur M. est maîtrisé.
– Tu fais trop de conneries, lui dit Loïc qui rappelle les tapages divers et variés dont se plaignent les voisins de monsieur M.
Il pleure doucement quand on lui demande de mettre ses souliers.
– Pour l’instant, elles sont sales mes chaussures, se plaint-il.
– Vous avez bu quoi ?, lui demande Loïc.
– Ce que vous voulez, répond monsieur M. qui marche pieds nus sur le cour de Vincennes avant de s’installer une banquette du fourgon de PS12 Alpha. Il empeste l’eau de Cologne dont il a dû s’asperger.
– Je ne suis qu’une star, Darry Cowl, c’est moi.
17h30,
près de la porte de la cellule de dégrisement numéro 1 au commissariat.
La pièce aux murs bleus est composé d’un châlit en ciment recouvert de bois lamellé, d’un WC turc dont la chasse s’actionne de l’extérieur de la cellule.
Enrique et un collègue vérifient que monsieur M. enlève tout ce qui « pourrait être dangereux pour lui en cellule de dégrisement » : bracelets, collier orné d’une balle pointue et bagues.
« Les bagues, je les garde, proteste monsieur M. Tu veux que je sois nu ? ». Visage émacié, yeux rouges, il finit par accepter d’enlever une dernière bague qu’il jette au sol. Un gardien de la paix équipé de gants noirs lui enlève son ceinturon mais monsieur M. refuse d’enlever la ficelle qui retient son caleçon. Deux fonctionnaires le retiennent tandis qu’un troisième coupe la ficelle avec un couteau.
17h12,
la porte de la cellule de dégrisement se referme.
17h14,
monsieur M. pisse contre la porte de sa cellule,
une flaque d’urine se répand dans le couloir.
05h40,
Dans le bois de Vincennes, les agents de police contrôlent l’identité de deux hommes dans une voiture. Le stationnement est interdit la nuit dans le bois de Vincennes afin d’éviter la prostitution.
23h05,
Porte de Vincennes, une escadrille de scooters fait le plein à la station BP. « On contrôle », décrète Patrice.
Grégory, blond, la raie sur le côté « dix-sept ans au mois d’octobre » roule sur un engin non assuré.
– Je viens de l’acheter ? J’ai déjà donné la moitié de l’argent, se défend-il.
– On vous emmène au commissariat avec le scooter. Vos parents viendront vous chercher. Vous êtes mineur, assène Patrice.
– Pas au commissariat, monsieur, proteste mollement Grégory.
Son cousin, majeur, n’est pas content. Il jette son casque par terre. Grégory est inquiet :
– Comment ça va se passer ? Qu’est-ce qui va m’arriver ?
– Vous allez être auditionné, lui répond Patrice. Grégory ne comprend rien à ce langage.
– C’est un jugement monsieur ?
– Non, il n’y a pas de coercition, ajoute Patrice dont le jargon ne rassure pas Grégory.
3h45,
pause sandwich, salade et taboulé.
4h05,
entre Bercy et les voies sur berge, un garçon est allongé sur un banc. Il a trop bu. Patrice le réanime bruyamment. » Allez debout, écartez les jambes, il faut vomir. « Le garçon s’exécute. « Si ça continue de tourner, c’est que vous n’avez pas encore tout vidé » lui dit un des policiers. « Essayons de régler le problème autrement que par la cellule de dégrisement », dit Patrice qui veut éviter un nouvel aller-retour à l’hôpital. « Vous êtes comment ? ». « À pied », dit le gamin qui reprend des couleurs.
Il a de l’argent et va prendre un taxi en décrétant : « Voilà ce que c’est de valider ses années lycées. »
19h10,
Dans le quartier des gardés à vue, un homme cogne violemment sur la porte vitrée et grasse de crasse. Le lieutenant responsable de la J2 va le voir. C’est un garçon torse nu plutôt athlétique mais qui porte les stigmates de la maladie. Il dit « qu’il cogne depuis plus d’une heure, qu’il étouffe, qu’il va crever, qu’il a le sida ». On lui apporte une bouteille d’eau. Un gardien de la paix stagiaire ouvre la porte de la cellule de garde à vue numéro 3 d’où s’échappe une chaleur lourde, odorante de corps confiné.
– J’ai 26 ans, je vais crever, j’ai le sida. La maladie, je l’ai depuis longtemps mais elle s’est déclarée il y a un an. Puis il pleure.
Le lieutenant tente : « Il faut laisser au traitement le temps d’agir. » Le gardé à vue : « Je vais crever. » Il répète aussi qu’il tape sur la porte depuis plus d’une heure : « Ce n’est pas parce que l’on met des survêtements et des baskets que l’on est de la racaille », dit-il. Il tousse : « J’étouffe. »
La porte de la geôle est restée ouverte pour laisser passer un peu d’air. Les pompiers arrivent. Le jeune homme va être transporter à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu.
Peu avant l’aube, près des voies sur berge à Bercy.
Cette nuit là, Police Secours est intervenue pour une ivresse sur la voie publique, un tapage nocturne, une fuite d’eau…
Textes de Jacky Durand.